Voilà, j'avais promis que pour le changement de map, je livrerais aux Midgardiens, et plus généralement aux r0xiens, une petite surprise de mon cru. Chose promise, chose presque dûe. Je livre à vos esprits avides la première partie de ce que je vous ais préparé. Il n'y a là que le début, faute d'y avoir travaillé pendant les vacances (ben oui, c'est les vacances quoi !) mais patience, la suite viendra.
Cette histoire m’a été contée par mon grand-père alors que j’avais votre âge, comme je m’apprête à le faire pour vous aujourd’hui. Et je vous prie de croire que c’était il y a bien longtemps. Et comme beaucoup d’autres, cette histoire commence avec un homme peu ordinaire. Un homme dont le nom est tombé dans l’oubli, mais dont la légende se perpétue par-delà les siècles.
Planté à la proue de l’immense navire, notre protagoniste semblait aussi immobile qu’une statue tandis qu’il fixait de son regard intense l’horizon parsemé de nuages cotonneux. Il étudiait tout particulièrement le rivage qui se dessinait doucement dans le lointain, comme s’il cherchait à en percer les innombrables mystères de son seul regard. Beaucoup de temps avait passé depuis qu’il était monté sur cet imposant bâtiment, cette arche abritant tout ce qu’il restait de son monde d’origine.
Car cet homme, de même que tous ses compagnons de bord, étaient en quelque sorte des exilés, chassés de chez eux par un cataclysme sans pareille et cherchant une nouvelle terre d’accueil. Alors qu’ils vivaient en paix dans le monde qui était le leur, le ciel s’était soudain déchiré, crachant sur la terre tantôt des roches de feu, tantôt des déluges à noyer un poisson. La terre avait tremblé, les eaux avaient englouti les îles et envahi les continents, et les survivants de ce monde agonisant avaient embarqué sur leur arche dans l’espoir d’échapper à la furie des éléments. Et c’est ce qu’ils avaient fait.
Les avis divergent sur l’origine véritable de ces colons. Certains disent pragmatiquement que l’Arche les avait sauvés des eaux et les avait menés vers un nouveau rivage lorsque le niveau était redescendu. D’autres affirment mordicus que l’arche, après le cataclysme, avait franchit une barrière entre les dimensions pour leur permettre de trouver un nouveau monde doté de terres vivables.
Quoi qu’il en soit, ces colons, après un long et pénible voyage désespéré, apercevaient enfin une terre et l’espoir en eux renaissait. Notre jeune homme planté à la proue était le premier à avoir aperçu le rivage, mais d’autres marins d’infortune la virent à leur tour et poussèrent des exclamations de joie avant qu’il ait pu réagir. L’Arche se mit soudain à frémir d’une activité fébrile, tous ses occupants se massant sur le pont pour constater de leurs yeux la matérialisation de leurs espoirs.
Lorsque la quille de l’arche racla le fond sableux du rivage, une passerelle fut promptement sortie et beaucoup de ses occupant de précipitèrent à terre avec des cris d’euphorie, des gesticulations extatiques ou des larmes de joie. Plusieurs n’attendirent même pas que la passerelle soit en place et sautèrent à l’eau par-dessus le bastingage de l’immense embarcation et pataugèrent jusqu’à la plage de sable fin. Notre jeune homme était de ceux-là. Il s’avança vers la plage en courant lourdement dans l’eau qui lui arrivait à la taille puis remonta la pente douce en laissant de profondes empreintes dans le sable chauffé par soleil. Alors avec un rire d’enfant, il se laissa tomber sur le sable, les bras écartés. Quel bonheur de revoir enfin la terre ! Bien que cela ait été l’unique moyen pour lui et les siens de survivre au cataclysme, cette arche avait été comme une prison pour cet amoureux des grands espaces. Alors qu’il profitait de ce moment de joie extatique, il fut rejoint par une jeune femme qui lui tomba pratiquement dessus, enroulant ses bras autour de son cou et lui fouettant le visage de sa longue chevelure d’un roux flamboyant. Le jeune homme rendit son étreinte à sa compagne et l’embrassa fougueusement, tout à la joie de cette renaissance.
Passée la joie de leur arrivée en ces terres, les colons se mirent au travail, car il y avait beaucoup à faire. Il leur fallait explorer les environs afin de trouver un endroit où s’installer, récolter de la nourriture, monter le camp provisoire et des milliers d’autres petites choses nécessaires. Des éclaireurs partirent dans toutes les directions, par groupes de trois ou quatre afin d’explorer la région. Le groupe qui était partit le long de la côte vers le nord revint quelques heures plus tard, affirmant avoir trouvé l’endroit parfait pour servir de port d’attache à l’Arche. Comme les autres membres de la communauté purent s’en rendre compte, il s’agissait d’une immense grotte marine largement assez grande pour abriter le navire, et plus encore. Il fut donc décidé que cette grotte serait le point de départ de cette nouvelle vie dans ces contrées encore inexplorées.
Quelques temps plus tard, on put voir émerger du sol les fondations des premières maisons à l’endroit choisi pour ériger la première ville, à laquelle on avait donnée le nom de l’une des nombreuses villes dévastées par le cataclysme : Midgard.
Cet endroit n’avait pas été choisi au hasard, loin de là. On pouvait trouver toutes les ressources naturelles nécessaire sans avoir besoin de beaucoup s’éloigner et la terre était fertile et le gibier abondant. Un endroit presque parfait, mais les nouveaux Midgardiens devaient vite déchanter car il y avait un revers à la médaille. Et ce fut notre jeune rouquine qui fut la première en aviser alors quelle était partie chasser.
Traquant sont gibier à travers la plaine, elle était embusquée dans une ravine serpentant entre deux collines et guettait sa proie qu’elle savait se trouver non loin de là, derrière la déclivité du terrain. Contrairement à son compagnon qui était un davantage un homme de l’esprit, elle était une chasseuse d’exception et n’avait pas grand-chose à envier aux meilleurs guerriers de son peuple. Sans le moindre bruit, elle progressa doucement au fond de la ravine, mesurant soigneusement ses pas, prête à bander à tout moment son arc où était encochée une flèche. Le gros gibier était plutôt rare aux abords de Midgard depuis que les colons s’étaient installés dans la région, et elle ne voulait pas rater cet animal presque aussi gros qu’un petit cheval.
Suivant un tournant, elle aperçu enfin sa proie qui broutait paisiblement au pied de la colline, un peu en contrebas. Elle avait fait un grand détour pour pouvoir approcher contre le vent, et sa patience était enfin récompensée. L’animal était à portée de flèche, et mieux encore, considérant son habileté à l’arc, elle ne pouvait pas le manquer à cette distance. Avec des gestes fluides et mesurés, qui auraient parus mous pour un profane, elle se redressa et amena lentement à sa joue la corde de son arc, l’index calé sous le côté droit de sa mâchoire. Il ne lui faudrait que quelques secondes pour ajuster son tir, attendre une accalmie de la brise légère qui caressait les herbes hautes et lâcher la corde. Elle inspira profondément, bloqua ses poumons et relâcha la tension dans les doigts qui maintenaient la corde tout en ramenant sa main droite vers l’arrière. Mais le projectile ne trouva jamais le chemin de sa cible.
Au moment précis où la flèche quittait l’arc, quelque chose d’énorme tomba du ciel précisément sur le gibier, provoquant une bourrasque impressionnante qui dévia le projectile et fit tomber la jeune femme à la renverse. Lorsqu’elle se releva, elle eut du mal à en croire ses yeux et dut se faire violence pour ne pas fuir à toutes jambes. C’était une grande créature à la peau écailleuse et dotée de grandes ailes membraneuses. Quatre fois plus gros qu’un cheval de belle taille, le monstre avait une gueule munie de crocs acérés suffisamment grande pour gober un homme tout entier d’une seule bouchée, quatre pattes solides et musclées terminées de griffes longues comme l’avant-bras de la jeune femme. Des pics noirs couraient le long de la colonne vertébrale de la créature, depuis la base de sa tête jusqu’au bout de sa queue hérissée de pointes, et faisaient un saisissant contrepoint sombre à la teinte presque dorée des écailles sur son flanc et son ventre.
La jeune femme n’en revenait pas d’avoir devant les yeux un authentique dragon, ces créatures de légende dont l’existence même éveillait jusqu’alors le scepticisme. Et il la regardait. Le dragon avait tourné la tête vers elle et, parfaitement immobile, il fixait sur elle deux yeux jaunes barrés d’une pupille verticale, d’une intensité à nulle autre pareille. Incapable de bouger un muscle, le souffle coupé de stupéfaction, la jeune femme avait l’impression de se noyer dans ces lacs d’or liquide, comme aspirée vers leur centre plus noir que la nuit, et elle se trouvait en équilibre entre l’émerveillement et la terreur.
Le dragon referma ses pattes antérieurs sur l’animal qu’il venait de tuer puis, détournant son regard hypnotique de l’humaine, il étendit ses ailes comme des voiles. D’un seul battement soutenant un bond puissant, il s’arracha à la terre et, avec une grâce aérienne, gagna rapidement les cieux, emportant avec lui son repas du jour.
Revenue au village encore en construction, la jeune chasseuse s’empressa de raconter l’incroyable rencontre, avec tant d’enthousiasme et d’excitation rétrospective que la frayeur de sa vie était presque passée pour une peccadille. Elle raconta brièvement la traque qui l’avait menée jusqu’à ces plaines, puis l’arrivée soudaine de ce maître des cieux sur le plancher des vaches. Elle décrivit par le menu l’incroyable créature, sa puissance et sa majesté, la couleur unique de ses écailles, ses grandes ailes capables de le soulever de terre et de l’emporter parmi les nuées. Elle n’oublia pas, cependant, de mentionner les crocs et les griffes du prédateur, la façon dont il avait fondu sur sa proie aussi soudainement que la foudre s’abattant sur arbre sans défense.
Beaucoup de villageois refusèrent de la croire. Les dragons étaient des créatures de légende et n’avaient jamais existé. D’autres se montrèrent sceptiques sans pour autant rejeter en bloc cette possibilité, tandis que quelques-uns restèrent pendus à ses lèvres et réclamèrent davantage de détails, partagés entre l’excitation d’une incroyable découverte et la frayeur que leur inspirait la perspective de devoir peut-être cohabiter avec cette créature. Tous les habitants du nouveau village avaient cessé leur travail de construction ou d’aménagement pour prêter l’oreille au récit de la chasseuse et la place était en effervescence. Le compagnon de la jeune femme avait écouté avec une excitation croissante, fouillant déjà dans sa mémoire à la recherche de tout ce qu’il pouvait avoir lu ou entendu concernant ces créatures de mythiques, et elle devinait qu’il ne tarderait pas à poursuivre ses recherches dans les quelques livres que les exilés avaient put emporter.
Parmi les membres les plus sceptiques de l’assemblée improvisée se trouvait Lokhvir, un homme têtu et fervent loyal à ses traditions ancestrales selon le jeune protagoniste de notre histoire, et un vieux grincheux fanatique réfractaire à toute forme de nouveauté selon un bonne partie des habitants du village. Il avait toujours protesté contre l’idée de l’Arche et la qualifiait d’hérésie, insistant sur le fait que les cataclysmes annoncés épargneraient les méritants et les vertueux. Mais il s’était pourtant bien hâté d’embarquer lorsque son jardin fut inondé par l’océan et sa maison bombardée de météores. Lokhvir avait écouté le récit de la chasseuse en affichant une mine encore plus renfrognée qu’à l’accoutumée. Puis n’en pouvant plus, il lui coupa la parole :
- Que cessent ces inepties ! Une telle créature ne peut pas exister. Tu nous racontes des histoires à dormir debout pour ne pas avouer, honteuse, que tu es rentrée bredouille, après avoir battu la campagne sans apporter la moindre contribution au village. Et même en imaginant qu’une telle horreur puisse être réelle, ce ne peut être qu’une créature diabolique, car aucun être de notre monde ne pourrait être aussi puissant sans frayer avec les démons.
Sur cet éclat, le vieil homme s’éloigna d’un pas rapide, fulminant comme sous le coup d’une injure personnelle, sans laisser à la jeune femme l’occasion de se défendre. De toute façon, elle n’en éprouva pas le besoin. Les radotages illuminés de ce vieux fou lui inspiraient autant de mépris qu’elle en inspirait au vieil homme. Toutefois, l’enthousiasme de chacun fut quelque peu douché par cette interruption, et tous retournèrent à leurs travaux. Ils avaient une ville à bâtir et des terres inconnues à dompter.
Le sujet ne fut de nouveau abordé que le lendemain, lors de la réunion hebdomadaire. On demanda à la jeune femme, convoquée pour l’occasion, de raconter à nouveau son histoire, mais avec plus de recul et de pragmatisme que la veille. Alors elle raconta à nouveau son départ pour la chasse afin de ramener de la viande au village, son approche du gibier, l’arrivée plus que soudaine du dragon tombant des cieux, le décrivant le plus précisément possible. Lokhvir, qui assistait aussi à la réunion, ne manqua pas de manifester son agacement par de bruyants soupirs et de marmonner dans sa barbe suffisamment distinctement pour que tout le monde comprenne la teneur de ses propos désobligeants. Et lorsque l’un des doyens de l’assemblée lui intima le silence pour permettre à la jeune femme de terminer son récit, il se mura dans un silence de rage contenue et entreprit de la fusiller du regard comme si la réprimande venait d’elle.
- Es-tu certaine de ne pas avoir été abusée par la fatigue, l’agacement ou la lumière déclinante ? Lui demanda calmement l’un des hommes lorsqu’elle se tut.
Elle confirma bien entendu son récit, et celui-ci n’ajouta rien, visiblement plongé dans une profonde réflexion. Alors notre jeune homme prit la parole, et tout le monde l’écouta. Avide de savoir et curieux de tout, il était considéré comme un érudit dans cette communauté malgré son jeune âge, autant pour l’étendue de son savoir quasi-encyclopédique que pour la justesse de ses raisonnements.
- Ne perdons pas de vue que nous venons de débarquer dans un monde dont nous ne connaissons rien et dont nous avons tout à découvrir. Ne rejetez pas une idée parce qu’elle vous semble saugrenue, car ce qui était impensable là d’où nous venons n’a peut-être rien d’absurde ici. Et inversement, il est possible que ce que nous considérions comme allant de soit jusqu’alors soit devenu aussi tangible qu’un simple rêve. En prenant pied dans ce monde nouveau, nous sommes également entrés dans une nouvelle ère avec des règles peut-être radicalement différentes de celles que nous connaissions. Il nous faudra donc observer et apprendre, sans nous imposer les limites inhérentes à notre ancienne vie. Car cette vie d’autrefois, que cela nous plaise ou non, nous l’avons laissée derrière nous, de même que les repères qui allaient avec. Notre expérience collective nous aidera à ne pas reproduire les erreurs du passé, mais elle ne doit pas non plus nous conduire à en commettre de nouvelles. C’est ici un monde nouveau, qu’il nous faut regarder avec un œil neuf, empli de possibilités infinies. Alors si ma femme affirme avoir vu un véritable dragon, je la crois sans conditions, tout comme j’aurais cru mon voisin ou n’importe lequel d’entre vous.
La jeune femme prit la main de son compagnon avec tendresse, comme pour le remercier d’avoir volé à son secours.
- Ridicule ! Eructa Lokhvir. Ce n’est…
Mais la jeune chasseresse tourna brusquement la tête et lui jeta un regard d’acier qui lui cloua le bec. Il en resta coi, s’étranglant presque avec la syllabe qu’il n’avait pas pu prononcer.
- Quoi qu’il en soit, dit un autre, nous ne pouvons rien faire en l’état actuel des choses. Nous ne pouvons qu’attendre de voir et nous occuper du plus urgent et de ce qui est à notre portée. Ce qui nous amène à l’ordre du jour. Certains villageois ont aperçu d’étranges créatures rôder aux alentours à la nuit tombée. Nous ne savons pas encore si elles sont hostiles ou non, mais certains préconisent de dresser des défenses avant de l’apprendre à nos dépends.
Chapitre 1 : Les prémices
Cette histoire m’a été contée par mon grand-père alors que j’avais votre âge, comme je m’apprête à le faire pour vous aujourd’hui. Et je vous prie de croire que c’était il y a bien longtemps. Et comme beaucoup d’autres, cette histoire commence avec un homme peu ordinaire. Un homme dont le nom est tombé dans l’oubli, mais dont la légende se perpétue par-delà les siècles.
Planté à la proue de l’immense navire, notre protagoniste semblait aussi immobile qu’une statue tandis qu’il fixait de son regard intense l’horizon parsemé de nuages cotonneux. Il étudiait tout particulièrement le rivage qui se dessinait doucement dans le lointain, comme s’il cherchait à en percer les innombrables mystères de son seul regard. Beaucoup de temps avait passé depuis qu’il était monté sur cet imposant bâtiment, cette arche abritant tout ce qu’il restait de son monde d’origine.
Car cet homme, de même que tous ses compagnons de bord, étaient en quelque sorte des exilés, chassés de chez eux par un cataclysme sans pareille et cherchant une nouvelle terre d’accueil. Alors qu’ils vivaient en paix dans le monde qui était le leur, le ciel s’était soudain déchiré, crachant sur la terre tantôt des roches de feu, tantôt des déluges à noyer un poisson. La terre avait tremblé, les eaux avaient englouti les îles et envahi les continents, et les survivants de ce monde agonisant avaient embarqué sur leur arche dans l’espoir d’échapper à la furie des éléments. Et c’est ce qu’ils avaient fait.
Les avis divergent sur l’origine véritable de ces colons. Certains disent pragmatiquement que l’Arche les avait sauvés des eaux et les avait menés vers un nouveau rivage lorsque le niveau était redescendu. D’autres affirment mordicus que l’arche, après le cataclysme, avait franchit une barrière entre les dimensions pour leur permettre de trouver un nouveau monde doté de terres vivables.
Quoi qu’il en soit, ces colons, après un long et pénible voyage désespéré, apercevaient enfin une terre et l’espoir en eux renaissait. Notre jeune homme planté à la proue était le premier à avoir aperçu le rivage, mais d’autres marins d’infortune la virent à leur tour et poussèrent des exclamations de joie avant qu’il ait pu réagir. L’Arche se mit soudain à frémir d’une activité fébrile, tous ses occupants se massant sur le pont pour constater de leurs yeux la matérialisation de leurs espoirs.
Lorsque la quille de l’arche racla le fond sableux du rivage, une passerelle fut promptement sortie et beaucoup de ses occupant de précipitèrent à terre avec des cris d’euphorie, des gesticulations extatiques ou des larmes de joie. Plusieurs n’attendirent même pas que la passerelle soit en place et sautèrent à l’eau par-dessus le bastingage de l’immense embarcation et pataugèrent jusqu’à la plage de sable fin. Notre jeune homme était de ceux-là. Il s’avança vers la plage en courant lourdement dans l’eau qui lui arrivait à la taille puis remonta la pente douce en laissant de profondes empreintes dans le sable chauffé par soleil. Alors avec un rire d’enfant, il se laissa tomber sur le sable, les bras écartés. Quel bonheur de revoir enfin la terre ! Bien que cela ait été l’unique moyen pour lui et les siens de survivre au cataclysme, cette arche avait été comme une prison pour cet amoureux des grands espaces. Alors qu’il profitait de ce moment de joie extatique, il fut rejoint par une jeune femme qui lui tomba pratiquement dessus, enroulant ses bras autour de son cou et lui fouettant le visage de sa longue chevelure d’un roux flamboyant. Le jeune homme rendit son étreinte à sa compagne et l’embrassa fougueusement, tout à la joie de cette renaissance.
Passée la joie de leur arrivée en ces terres, les colons se mirent au travail, car il y avait beaucoup à faire. Il leur fallait explorer les environs afin de trouver un endroit où s’installer, récolter de la nourriture, monter le camp provisoire et des milliers d’autres petites choses nécessaires. Des éclaireurs partirent dans toutes les directions, par groupes de trois ou quatre afin d’explorer la région. Le groupe qui était partit le long de la côte vers le nord revint quelques heures plus tard, affirmant avoir trouvé l’endroit parfait pour servir de port d’attache à l’Arche. Comme les autres membres de la communauté purent s’en rendre compte, il s’agissait d’une immense grotte marine largement assez grande pour abriter le navire, et plus encore. Il fut donc décidé que cette grotte serait le point de départ de cette nouvelle vie dans ces contrées encore inexplorées.
Quelques temps plus tard, on put voir émerger du sol les fondations des premières maisons à l’endroit choisi pour ériger la première ville, à laquelle on avait donnée le nom de l’une des nombreuses villes dévastées par le cataclysme : Midgard.
Cet endroit n’avait pas été choisi au hasard, loin de là. On pouvait trouver toutes les ressources naturelles nécessaire sans avoir besoin de beaucoup s’éloigner et la terre était fertile et le gibier abondant. Un endroit presque parfait, mais les nouveaux Midgardiens devaient vite déchanter car il y avait un revers à la médaille. Et ce fut notre jeune rouquine qui fut la première en aviser alors quelle était partie chasser.
Traquant sont gibier à travers la plaine, elle était embusquée dans une ravine serpentant entre deux collines et guettait sa proie qu’elle savait se trouver non loin de là, derrière la déclivité du terrain. Contrairement à son compagnon qui était un davantage un homme de l’esprit, elle était une chasseuse d’exception et n’avait pas grand-chose à envier aux meilleurs guerriers de son peuple. Sans le moindre bruit, elle progressa doucement au fond de la ravine, mesurant soigneusement ses pas, prête à bander à tout moment son arc où était encochée une flèche. Le gros gibier était plutôt rare aux abords de Midgard depuis que les colons s’étaient installés dans la région, et elle ne voulait pas rater cet animal presque aussi gros qu’un petit cheval.
Suivant un tournant, elle aperçu enfin sa proie qui broutait paisiblement au pied de la colline, un peu en contrebas. Elle avait fait un grand détour pour pouvoir approcher contre le vent, et sa patience était enfin récompensée. L’animal était à portée de flèche, et mieux encore, considérant son habileté à l’arc, elle ne pouvait pas le manquer à cette distance. Avec des gestes fluides et mesurés, qui auraient parus mous pour un profane, elle se redressa et amena lentement à sa joue la corde de son arc, l’index calé sous le côté droit de sa mâchoire. Il ne lui faudrait que quelques secondes pour ajuster son tir, attendre une accalmie de la brise légère qui caressait les herbes hautes et lâcher la corde. Elle inspira profondément, bloqua ses poumons et relâcha la tension dans les doigts qui maintenaient la corde tout en ramenant sa main droite vers l’arrière. Mais le projectile ne trouva jamais le chemin de sa cible.
Au moment précis où la flèche quittait l’arc, quelque chose d’énorme tomba du ciel précisément sur le gibier, provoquant une bourrasque impressionnante qui dévia le projectile et fit tomber la jeune femme à la renverse. Lorsqu’elle se releva, elle eut du mal à en croire ses yeux et dut se faire violence pour ne pas fuir à toutes jambes. C’était une grande créature à la peau écailleuse et dotée de grandes ailes membraneuses. Quatre fois plus gros qu’un cheval de belle taille, le monstre avait une gueule munie de crocs acérés suffisamment grande pour gober un homme tout entier d’une seule bouchée, quatre pattes solides et musclées terminées de griffes longues comme l’avant-bras de la jeune femme. Des pics noirs couraient le long de la colonne vertébrale de la créature, depuis la base de sa tête jusqu’au bout de sa queue hérissée de pointes, et faisaient un saisissant contrepoint sombre à la teinte presque dorée des écailles sur son flanc et son ventre.
La jeune femme n’en revenait pas d’avoir devant les yeux un authentique dragon, ces créatures de légende dont l’existence même éveillait jusqu’alors le scepticisme. Et il la regardait. Le dragon avait tourné la tête vers elle et, parfaitement immobile, il fixait sur elle deux yeux jaunes barrés d’une pupille verticale, d’une intensité à nulle autre pareille. Incapable de bouger un muscle, le souffle coupé de stupéfaction, la jeune femme avait l’impression de se noyer dans ces lacs d’or liquide, comme aspirée vers leur centre plus noir que la nuit, et elle se trouvait en équilibre entre l’émerveillement et la terreur.
Le dragon referma ses pattes antérieurs sur l’animal qu’il venait de tuer puis, détournant son regard hypnotique de l’humaine, il étendit ses ailes comme des voiles. D’un seul battement soutenant un bond puissant, il s’arracha à la terre et, avec une grâce aérienne, gagna rapidement les cieux, emportant avec lui son repas du jour.
Revenue au village encore en construction, la jeune chasseuse s’empressa de raconter l’incroyable rencontre, avec tant d’enthousiasme et d’excitation rétrospective que la frayeur de sa vie était presque passée pour une peccadille. Elle raconta brièvement la traque qui l’avait menée jusqu’à ces plaines, puis l’arrivée soudaine de ce maître des cieux sur le plancher des vaches. Elle décrivit par le menu l’incroyable créature, sa puissance et sa majesté, la couleur unique de ses écailles, ses grandes ailes capables de le soulever de terre et de l’emporter parmi les nuées. Elle n’oublia pas, cependant, de mentionner les crocs et les griffes du prédateur, la façon dont il avait fondu sur sa proie aussi soudainement que la foudre s’abattant sur arbre sans défense.
Beaucoup de villageois refusèrent de la croire. Les dragons étaient des créatures de légende et n’avaient jamais existé. D’autres se montrèrent sceptiques sans pour autant rejeter en bloc cette possibilité, tandis que quelques-uns restèrent pendus à ses lèvres et réclamèrent davantage de détails, partagés entre l’excitation d’une incroyable découverte et la frayeur que leur inspirait la perspective de devoir peut-être cohabiter avec cette créature. Tous les habitants du nouveau village avaient cessé leur travail de construction ou d’aménagement pour prêter l’oreille au récit de la chasseuse et la place était en effervescence. Le compagnon de la jeune femme avait écouté avec une excitation croissante, fouillant déjà dans sa mémoire à la recherche de tout ce qu’il pouvait avoir lu ou entendu concernant ces créatures de mythiques, et elle devinait qu’il ne tarderait pas à poursuivre ses recherches dans les quelques livres que les exilés avaient put emporter.
Parmi les membres les plus sceptiques de l’assemblée improvisée se trouvait Lokhvir, un homme têtu et fervent loyal à ses traditions ancestrales selon le jeune protagoniste de notre histoire, et un vieux grincheux fanatique réfractaire à toute forme de nouveauté selon un bonne partie des habitants du village. Il avait toujours protesté contre l’idée de l’Arche et la qualifiait d’hérésie, insistant sur le fait que les cataclysmes annoncés épargneraient les méritants et les vertueux. Mais il s’était pourtant bien hâté d’embarquer lorsque son jardin fut inondé par l’océan et sa maison bombardée de météores. Lokhvir avait écouté le récit de la chasseuse en affichant une mine encore plus renfrognée qu’à l’accoutumée. Puis n’en pouvant plus, il lui coupa la parole :
- Que cessent ces inepties ! Une telle créature ne peut pas exister. Tu nous racontes des histoires à dormir debout pour ne pas avouer, honteuse, que tu es rentrée bredouille, après avoir battu la campagne sans apporter la moindre contribution au village. Et même en imaginant qu’une telle horreur puisse être réelle, ce ne peut être qu’une créature diabolique, car aucun être de notre monde ne pourrait être aussi puissant sans frayer avec les démons.
Sur cet éclat, le vieil homme s’éloigna d’un pas rapide, fulminant comme sous le coup d’une injure personnelle, sans laisser à la jeune femme l’occasion de se défendre. De toute façon, elle n’en éprouva pas le besoin. Les radotages illuminés de ce vieux fou lui inspiraient autant de mépris qu’elle en inspirait au vieil homme. Toutefois, l’enthousiasme de chacun fut quelque peu douché par cette interruption, et tous retournèrent à leurs travaux. Ils avaient une ville à bâtir et des terres inconnues à dompter.
Le sujet ne fut de nouveau abordé que le lendemain, lors de la réunion hebdomadaire. On demanda à la jeune femme, convoquée pour l’occasion, de raconter à nouveau son histoire, mais avec plus de recul et de pragmatisme que la veille. Alors elle raconta à nouveau son départ pour la chasse afin de ramener de la viande au village, son approche du gibier, l’arrivée plus que soudaine du dragon tombant des cieux, le décrivant le plus précisément possible. Lokhvir, qui assistait aussi à la réunion, ne manqua pas de manifester son agacement par de bruyants soupirs et de marmonner dans sa barbe suffisamment distinctement pour que tout le monde comprenne la teneur de ses propos désobligeants. Et lorsque l’un des doyens de l’assemblée lui intima le silence pour permettre à la jeune femme de terminer son récit, il se mura dans un silence de rage contenue et entreprit de la fusiller du regard comme si la réprimande venait d’elle.
- Es-tu certaine de ne pas avoir été abusée par la fatigue, l’agacement ou la lumière déclinante ? Lui demanda calmement l’un des hommes lorsqu’elle se tut.
Elle confirma bien entendu son récit, et celui-ci n’ajouta rien, visiblement plongé dans une profonde réflexion. Alors notre jeune homme prit la parole, et tout le monde l’écouta. Avide de savoir et curieux de tout, il était considéré comme un érudit dans cette communauté malgré son jeune âge, autant pour l’étendue de son savoir quasi-encyclopédique que pour la justesse de ses raisonnements.
- Ne perdons pas de vue que nous venons de débarquer dans un monde dont nous ne connaissons rien et dont nous avons tout à découvrir. Ne rejetez pas une idée parce qu’elle vous semble saugrenue, car ce qui était impensable là d’où nous venons n’a peut-être rien d’absurde ici. Et inversement, il est possible que ce que nous considérions comme allant de soit jusqu’alors soit devenu aussi tangible qu’un simple rêve. En prenant pied dans ce monde nouveau, nous sommes également entrés dans une nouvelle ère avec des règles peut-être radicalement différentes de celles que nous connaissions. Il nous faudra donc observer et apprendre, sans nous imposer les limites inhérentes à notre ancienne vie. Car cette vie d’autrefois, que cela nous plaise ou non, nous l’avons laissée derrière nous, de même que les repères qui allaient avec. Notre expérience collective nous aidera à ne pas reproduire les erreurs du passé, mais elle ne doit pas non plus nous conduire à en commettre de nouvelles. C’est ici un monde nouveau, qu’il nous faut regarder avec un œil neuf, empli de possibilités infinies. Alors si ma femme affirme avoir vu un véritable dragon, je la crois sans conditions, tout comme j’aurais cru mon voisin ou n’importe lequel d’entre vous.
La jeune femme prit la main de son compagnon avec tendresse, comme pour le remercier d’avoir volé à son secours.
- Ridicule ! Eructa Lokhvir. Ce n’est…
Mais la jeune chasseresse tourna brusquement la tête et lui jeta un regard d’acier qui lui cloua le bec. Il en resta coi, s’étranglant presque avec la syllabe qu’il n’avait pas pu prononcer.
- Quoi qu’il en soit, dit un autre, nous ne pouvons rien faire en l’état actuel des choses. Nous ne pouvons qu’attendre de voir et nous occuper du plus urgent et de ce qui est à notre portée. Ce qui nous amène à l’ordre du jour. Certains villageois ont aperçu d’étranges créatures rôder aux alentours à la nuit tombée. Nous ne savons pas encore si elles sont hostiles ou non, mais certains préconisent de dresser des défenses avant de l’apprendre à nos dépends.
Chapitre 2 à venir...